Quel est votre diagnostic ? Les sels de déneigement
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DÉTECTION
Ces dépérissements brutaux de platanes sont toujours très inquiétants car le spectre de la redoutable maladie du « chancre coloré » rôde autour de cette essence très commune sur le territoire français, et même si à Strasbourg (67) et dans toute la région aucun cas n'a encore été identifié, il est toujours possible qu'une contamination récente et accidentelle puisse avoir eu lieu. Ici, toutefois, la répartition très aléatoire des sujets concernés n'est pas conforme au développement de cette affection - qui constitue des foyers au sein desquels les arbres sont atteints de proche en proche - et les symptômes diffèrent (voir paragraphe « Confusions possibles »).
La sectorisation architecturale dans l'expression des symptômes relevée sur des arbres de cette génération laisse envisager une possible intoxication d'un polluant par voie racinaire. De tels signes apparaissent notamment en cas d'une absorption accidentelle d'un phytocide par un nombre limité de racines ; les signes d'intoxication par le produit ne s'observent alors que sur quelques axes dans le houppier. Les colorations corticales suspectes expriment un dépérissement des tissus cambiaux. Le dessèchement du rhytidome signifie leur mortalité. La présence d'un cal de cicatrisation autour des tissus nécrosés indique une réaction de l'arbre et une tentative de recouvrement des zones endommagées. L'apparition des symptômes foliaires lors des premières chaleurs printanières et leur aspect (une nécrose marginale et internervaire) est assez caractéristique de l'expression d'un important stress hydrique mais ici, un manque d'eau ne peut pas objectivement être mis en cause. Sur cette essence, une sécheresse induite par la présence d'un polluant minéral est donc envisagée. Pour l'identifier, des analyses minérales ont été réalisées à partir d'échantillons de feuilles, de rameaux et de branches ; elles ont mis en évidence des teneurs élevées en chlore (Cl) et en sodium (Na). L'intoxication des arbres par du sel (NaCl) résultant d'un épandage au sol est confirmée.
MÉCANISMES EXPLICATIFS
Les teneurs extrêmement élevées de chlore et de sodium dans les tissus des arbres dépérissants ont pour origine les sels de déneigement épandus par les personnels de la voirie lors de chutes de neige sur cette place accueillant un marché quotidien. Afin de permettre l'accès des forains et ne pas encombrer l'espace central, cette neige « salée » est alors endainée, ramassée puis accumulée au pied de certains arbres. Sa fonte progressive libère le chlorure de sodium qui se répand dans le sol. Au cours de la saison de végétation, les mécanismes d'absorption de l'eau par les racines se retrouvent fortement perturbés par l'importante concentration de ces éléments minéraux dans la solution du sol. Ainsi, la pression osmotique de l'eau du sol devient supérieure à celle des poils absorbants bloquant alors l'absorption hydrique... et ce sont des symptômes proches de ceux d'une sécheresse qui s'observent sur le feuillage. Ceux-ci sont davantage marqués en été, lorsque la demande climatique est forte. Le chlore et le sodium sont absorbés par l'arbre et intoxiquent ses tissus (notamment les ions chlorures). Le premier s'accumule plutôt dans les limbes foliaires, le second dans les tissus ligneux. C'est au moment de la remontée des polluants dans les vaisseaux xylémiens que pourrait survenir l'endommagement des méristèmes secondaires permettant l'expression des symptômes relevés sur les écorces : des colorations vives et des nécroses corticales. Si les teneurs sont élevées et si l'ensemble des racines absorbe les ions chlore et sodium, les tissus sont endommagés sur toute la circonférence du tronc. Si quelques racines ont absorbé les polluants, seules des « langues » de tissus nécrosés apparaissent dans la base des troncs. Autour, les tissus sous-corticaux épargnés parviennent à mettre en place et à développer un cal de recouvrement.
CONFUSIONS POSSIBLES
Tous les agents - parasitaires ou non - qui sont responsables du dépérissement puis de la mortalité du cambium génèrent sur l'écorce une coloration de rougeâtre à bleutée. Une intoxication par les sels de déneigement peut donc être confondue avec la présence de la maladie du chancre coloré occasionnée par Ceratocystis platani. Cependant, avec cette pathologie, les manifestations aériennes diffèrent : il n'y a pas de sectorisation et l'ensemble du houppier est impacté, aucun rejet n'apparaît, les feuilles se raréfient et sont nanifiées, la coloration des écorces est souvent discontinue et aucun cal cicatriciel ne se forme au bord de la lésion.
Une intoxication localisée avec certains phytocides peut également générer des « langues » de tissus colorés et nécrosés remontant du collet. Dans ce cas, un cal cicatriciel se met en place soulevant légèrement le rhytidome qui tend à s'écailler.
PRONOSTIC ET MESURES À PRENDRE
Pour les platanes les plus intoxiqués, le pronostic est très réservé. Seuls les arbres ne portant pas d'affections nécrotiques sur leur tronc ou leurs charpentières sont susceptibles de surmonter leur dépérissement. Mais il faut rester très prudent car cette essence tend à stocker les ions chlorures dans ses tissus et parvient difficilement à s'en débarrasser, notamment lors de la chute des feuilles à l'automne. Ainsi, au fil des années, un phénomène d'accumulation de ce toxique est à redouter chez le platane.
Il paraît donc impératif de limiter les apports de sel de déneigement sur les voiries plantées et les places des agglomérations et de privilégier l'utilisation d'agents d'accroche (sables et gravillons). Et il est toujours nécessaire d'exporter les excédents de neige - notamment si elle a été au préalable salée - et de proscrire toute accumulation au pied des arbres.
Par Pierre Aversenq, spécialiste arboricole
Bibliographie- Bory Gérard, Bossuat Hervé, Clair-Maczulajtys Danielle et Hébert Georges. « Les arbres, la neige et le sel », Arbre actuel n° 17, février-mars 2015, Institut pour le développement forestier, pp. 23-35.- Haddad Yaël et Bonnardot Augustin. « L'impact du sel sur les arbres ». 25e ArboRencontre de Seine-et-Marne « L'arbre en conditions hivernales », CAUE 77, juin 2012.
Pierre Aversenq, spécialiste arboricole
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